Agréation des entrepreneurs: qu’en est-il des erreurs dans les documents du marché ?

Dans le cadre des marchés publics de travaux, un entrepreneur est tenu d’avoir une agréation dans la classe, la catégorie ou la sous-catégorie concernée. Par conséquent, ladite agréation doit correspondre à l’objet spécifique du marché.

Dans un arrêt du 15 juillet 2021, le Conseil d’État s’est prononcé sur une affaire dans laquelle le cahier spécial des charges exigeait une reconnaissance qui ne correspondait pas à l’objet du marché. Dans cet article, nous discutons de cet arrêt et de la leçon que tout entrepreneur peut tirer s’il est confronté à un problème similaire.

Introduction : que contiennent les règles relatives à l’agréation des entrepreneurs ?

Un pouvoir adjudicateur qui passe un marché public de travaux doit avoir l’assurance suffisante que l’entrepreneur choisi est suffisamment compétent sur le plan technique et dispose d’une capacité financière satisfaisante pour mener à bien le marché. C’est pour cette raison que le législateur a conçu des conditions d’agréation sur la base desquelles le Pouvoir Adjudicateur peut voir d’un coup d’œil si tel est le cas.

La législation pertinente en matière d’agréation des entrepreneurs est la Loi du 20 mars 1991 organisant l’agréation des entrepreneurs de travaux, mise en vigueur par l’Arrêté royal du 26 septembre 1991 fixant certaines mesures d’application de la Loi du 20 mars 1991 organisant l’agréation des entrepreneurs de travaux. Sur la base de cette législation, tout entrepreneur peut être agréé en fonction de classes, catégories et sous-catégories.

La classe détermine notamment la solidité financière de l’entrepreneur en fonction de la valeur des marchés qu’il peut être exécuté simultanément. Par exemple, un entrepreneur de classe 1 sera autorisé à exécuter simultanément des marchés d’une valeur cumulée maximale de 682 000 euros seulement. Un entrepreneur de classe 8 sera autorisé à le faire pour une valeur cumulée maximale de 260 000 000 EUR. Les montants précités sont HTVA.

Les catégories et sous-catégories dont devra disposer l’entrepreneur, seront déterminées sur la base de la nature concrète des marchés. La catégorie étant identifiée par une lettre et la sous-catégorie par une lettre et un numéro. Par exemple, pour des travaux d’égouttage, la sous-catégorie C1 sera retenue. La lettre « C » visant la catégorie « Entreprises générales de travaux routiers » à laquelle cette sous-catégorie est reliée, et le « 1 » indiquant le nom de ladite sous-catégorie : « Travaux d’égouts courants »

Tous ces aspects sont importants pour un Pouvoir Adjudicateur qui souhaite attribuer un marché de travaux à un entrepreneur. Il devra donc inclure ces exigences d’agréation dans le cahier spécial des charges et s’assurer que celles-ci correspondent à l’objet concret marché.

Contexte de l’arrêt du Conseil d’État

L’arrêt du Conseil d’État du 15 juillet 2021 (n° 251.278) visait l’attribution d’un marché de menuiserie extérieure, faisant partie d’un marché plus important concernant l’extension d’une maison de repos et de soins à Tamise (Temse).

Le cahier spécial des charges prévoit que les soumissionnaires doivent être agréés au moins en classe 5, catégorie D (Entreprises générales de bâtiments). En outre, l’entrepreneur doit démontrer son expérience dans l’installation de portes et fenêtres en aluminium. Toutefois, le Pouvoir Adjudicateur mentionne que si le soumissionnaire possède l’agréation en Classe 5, D20 (Menuiserie métallique), il n’est pas nécessaire d’ajouter une preuve d’expérience supplémentaire.

Quatre soumissionnaires présentent des offres, dont trois sont déclarées substantiellement irrégulières en raison de l’absence de DUME (Document Unique de Marché Européen). Le marché est finalement attribué au seul soumissionnaire restant.

L’un des soumissionnaires écartés conteste l’attribution du marché au soumissionnaire restant, en critiquant, entre autres, le fait que ce dernier ne dispose pas d’une agréation dans la sous-catégorie D20, alors que la nature et l’ampleur du marché, qui est déterminant pour la bonne application de la réglementation relative à l’agréation des entrepreneurs, exige une sous-catégorie D20. 

Le Pouvoir Adjudicateur contre lequel le recours est déposé, réplique en disant que la contestation de la requérante ( ledit soumissionnaire écarté) arrive trop tard. En effet, rappelle le Pouvoir adjudicateur, une clause du cahier spécial des charges obligeait les entrepreneurs à signaler les illégalités apparentes 10 jours avant la soumission de l’offre. C’est un exemple de la clause dite « Neorec ». 

Jugement du Conseil d’État

Dans un premier temps, le Conseil d’État se prononce sur l’objection du Pouvoir Adjudicateur relative au caractère tardif de la critique de la requérante sur l’exigence de l’agréation. Sur ce point, le Conseil affirme qu’en réalité, cela n’est pas aussi manifeste que le présente le Pouvoir Adjudicateur attaqué. Le Conseil rejette donc la réplique et traite les critiques de la requérante sur le fond.

Sur le fond, le Conseil rappelle que le Pouvoir Adjudicateur est libre d’imposer les exigences de l’agréation à sa guise, pour autant qu’il agisse avec prudence. Le Conseil indique également que, sur la base de l’objet réel du marché, une requalification de l’exigence d’agréation énoncée devrait être possible. À cet égard, le Conseil examine les exigences concrètes du cahier spécial des charges, qui offraient aux soumissionnaires deux options :

  • – soit une agréation en classe 5, catégorie D, complétée par la présentation d’une expérience dans l’installation de fenêtres et de portes en aluminium ;
  • – soit une agréation en classe 5, sous-catégorie D20.

Après étude, le Conseil requalifie le marché exclusivement dans la classe 5, sous-catégorie D20. Le Conseil d’État conclut donc que le Pouvoir Adjudicateur a fait preuve de négligence en autorisant également une agréation en classe 5, catégorie D. Par conséquent, le marché n’aurait pas dû être attribué à l’adjudicataire. En conséquence, la décision d’attribution motivée contestée est suspendue.

Conclusion : conseil pratique pour l’analyse du cahier spécial des charges

L’arrêt discuté montre que, en tant que soumissionnaire, il est important de toujours vérifier soigneusement les conditions d’agréation. En effet, un Pouvoir Adjudicateur n’a pas une liberté illimitée pour fixer les exigences d’agréation, ce qui signifie qu’en tant que soumissionnaire, vous devez toujours vérifier si elles sont correctes. En effet, chaque exigence doit correspondre à la nature concrète de l’objet du marché.

Il est donc conseillé d’examiner les exigences d’agréation dès que possible après avoir reçu le cahier spécial des charges. Si cette analyse révèle des problèmes potentiels avec les exigences d’agréation, l’idéal est de les transmettre au Pouvoir Adjudicateur le plus tôt possible et ce avant de déposer votre offre. Si tel n’est pas le cas, le Conseil d’État laisse la possibilité de soulever ce point pour la première fois dans le cadre d’un recours en suspension, comme le montre l’arrêt précité.

Toutefois, nous recommandons de toujours faire cette demande avant de déposer offre, car il n’est pas certain que le Conseil d’État statue toujours dans ce sens.